Opinion

La constitutionalisation de l’IVG

Ce 8 mars 2024, a été officialisé par le président de la République, Emmanuel Macron, la dix-neuvième modification de la constitution de 1958. L’accès à l’IVG est gravé dans le marbre de la constitution française. La présidente de l’Assemblée nationale, le premier ministre et le garde des sceaux se félicitent de cette victoire. Est évoquée la place de la France, grande défenseuse du droit des femmes à disposer d’elles même, exemple pour le monde alors que le droit à l’IVG est menacé.

Le renversement de l’arrêt Wide VS Roe par la cour suprême américaine explique les inquiétudes et préoccupations des féministes et groupes politiques portés sur la défense de l’accès à l’IVG. Cette “réussite” pour les droits humains, votée par le parti de la majorité et le président de la république est à nuancée.

En effet, c’est à l’initiative de la CNCDH (commission nationale consultative des droits de l’Homme) que cette constitutionnalisation fut mise à l’agenda des priorités gouvernementales. La lutte pour l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution a jusque-là été porté par d’autres groupes politiques. Mathilde Panot, présidente du groupe France Insoumise à l’Assemblée Nationale, mais aussi Mélanie Vogel, sénatrice écologiste, avaient toutes deux défendu des propositions de loi visant l’inscription de l’accès à l’IVG dans la constitution.

La CNCDH a évoqué ces préocupations quand à la montée de mouvances pro vie en France, s’observant par la mise en place de faux numéros verts incitant les personnes cherchant un soutien dans leur démarche d’avortement à ne pas le faire.

Ensuite, l’augmentation exponentielle des budgets et financements de ces associations pro vie pose question. Au sein de l’Union Européenne enfin, la Pologne et la Hongrie ont également porté atteinte aux conditions légales d’accès à l’IVG et aux autres méthodes abortives. La CNCDH a donc proposé une inscription de l’accès à l’IVG à l’article 1 de la constitution ou son ajout dans le bloc de constitutionnalité, de plus elle suggère non pas une formulation indiquant “la liberté de toutes les femmes d’avoir accès à l’IVG” mais le “droit à y avoir accès”. Cette recommandationn’a pas été suivie.

En effet, le Sénat et l’Assemblée Nationale doivent s’accorder sur une version du texte à la virgule prêt afin de le faire inscrire dans la constitution en congrès. L’Assemblée Nationale à opté pour l’inscription d’un droit à l’IVG à la majorité. La chambre haute à quant-à-elle décidé d’une liberté et non d’un droit. Il y a eu une synthèse des deux propositions, aboutissant à une liberté d’accès à l’IVG garantie pour toutes les femmes et inscrite à l’article 34 de la constitution.

Le Syndicat des Avocats de France est monté au créneau pour dénoncer une inscription cosmétique de l’accès à l’IVG. En effet, la garantie d’une liberté est plus faible juridiquement que celle d’un droit qui se doit d’être respecté.

L’article 34 ensuite, établie une liste de libertés entre parenthèses, ainsi la liberté d’accès à l’IVG se trouve coincé entre d’autres évocations. Elle peut être renversée ou contrainte beaucoup plus facilement que si l’accès à l’IVG avait été constitutionnalisé en tant que droit. La CNCDH abonde en ce sens et déplore que ces recommandations (c’est une commission à titre consultatif) n’aient pas été suivies. L’AFP remet d’ailleurs en cause la communication du Président de la République évoquant une constitutionnalisation solide car il n’en est rien. L’entrée dans la constitution ne garantit pas une meilleure protection du droit d’accès à l’IVG.

Cependant, il faut noter qu’il n’y a aucun précédent à l’échelle internationale et de surcroît européenne. La CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne) n’avait jusqu’alors émis aucune préconisation quant à l’inscription de l’accès à l’IVG dans la constitution. D’un point de vue associatif, les positions divergent quant à l’accueil de cette constitutionnalisation relative. Le Planning familial s’estime satisfait, soulignant que l’accès à l’IVG a toujours été reconnu par la loi par touches et couches successives.

Néanmoins, cela ne signifie pas un arrêt de la lutte pour une meilleure prise en compte de l’accès à l’IVG dans la loi et a fortiori la constitution. En effet, le texte a omis de mentionner l’accès aux hommes transgenre par la mention “femmes” ce qui rend aussi cette constitutionnalisation imparfaite. La non mention d’un groupe concerné par l’accès à l’IVG est problématique car marqueur du caractère exclusif et non inclusif de l’inscription de cet accès à l’IVG dans la constitution.

Nous ne sommes donc pas satisfait par cette constitutionnalisation en demi teinte dans un contexte ou l’accès à l’avortement est menacé dans plusieurs Etats dans et hors de l’Union Européenne. De plus, les forces politiques en faveur d’un retour en arrière concernant la loi Veil s’organisent et font craindre une dégradation des conditions d’avortement en France à moyen terme.

Néanmoins, cette entrée dans la constitution est une avancée pour les droits des femmes et minorités de genre et de sexe au delà des calculs politiques. En effet, à présent il semble plus aisé de faire inscrire un droit d’accès à l’avortement dans le bloc de constitutionalité, du moins si les forces politiques et la société civile continuent de se mobiliser por ce droit à valeur universelle et constitutionnelle.

Ainsi, l’ASSEDEL appelle les forces vives et progressistes à ne pas rester sur cette victoire en demi teinte mais à lutter efficacement pour une inscription d’un droit à l’accès à l’IVG et à l’avortement pour tous dans l’article premier de la constitution ou le bloc de constitutionalité.


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