Ce lundi 2 septembre 2024, le procès des viols de Mazan s’est ouvert devant la Cour Criminelle du Vaucluse en France pour une durée de quatre mois et demi. Durant plus de dix années, Dominique P. a recruté plusieurs dizaines d’hommes sur un site de rencontre, connu pour être un repaire de délinquants sexuels, dans le but que ces derniers abusent et violent son ex-femme, Gisèle Pélicot, droguée aux anxiolytiques et inconsciente au moment des faits.
Pendant ces dix ans, celle-ci était victime de trous de mémoire, de douleurs gynécologiques, l’obligeant à consulter plusieurs professionnels de santé sans qu’ils suspectent la soumission chimique qu’elle subissait. Ses pathologies inquiétaient grandement sa famille et ses amis qui la pensaient atteinte d’une maladie grave.
Ce n’est qu’en 2020 que Gisèle Pélicot a découvert les terribles faits.
Le 2 novembre de cette année-là, elle se rend au commissariat pour rejoindre son ex-mari, accusé deux mois plus tôt d’avoir filmé sous les jupes de trois femmes dans un centre commercial. C’est à ce moment qu’elle découvre avec horreur plus de 20 000 photos et vidéos d’elle dénudée et inconsciente, illustrant pour certaines des scènes de viols et de barbarie. Ces contenus, retrouvés par les policiers, dans le matériel informatique de celui qu’elle décrivait comme un homme respectable, constituent les preuves principales du procès et de la soumission chimique subie.
Si les policiers ont recensé 72 hommes ayant abusé et violé Gisèle Pélicot entre juillet 2011 et octobre 2020, il est difficile d’estimer réellement le nombre exact de crimes et délits subis par la victime. Lors de la révélation des faits, sa fille, Caroline Darian, fondatrice de l’association M’endors pas, une association luttant contre la soumission chimique, et ses belles-filles, découvrent ,elles aussi, avoir été victimes des abus de leur père et beau-père en découvrant des photos d’elles dénudées prises à leur insu.
Cette affaire, dans laquelle Gisèle Pélicot a refusé le huit-clos pour que « la honte change de camp » met en lumière une réalité inquiétante concernant la société patriarcale, et nous oblige à prendre conscience de l'ampleur du phénomène de la soumission chimique, consistant à administrer des substances psychoactives à la victime pour commettre un crime ou un délit le plus souvent sexuel.
Ce procès, qualifié de « hors normes » par de nombreux médias, compte 51 accusés à la barre, la majorité jugée pour « viols aggravés », dont l’ex-mari de la victime, qui a orchestré la décennie d’abus et de viols perpétrés sur son ex-femme avec qui il vivait depuis plus de 50 ans.
Les profils des accusés sont diversifiés : âgés de 26 à 74 ans, certains sont pères de famille, d’autres occupent des métiers servant la société civile tels que militaire, pompier ou encore ex-policier… En d’autres mots, ce sont des « monsieur tout-le-monde ».
Ainsi, ce procès « de la soumission chimique », comme surnommé par les médias, expose également la banalisation des violences sexuelles et la culture du viol présentes dans notre société.
SOUMISSION CHIMIQUE : UNE QUESTION DE SANTÉ PUBLIQUE
Phénomène méconnu et sous-estimé en France, la soumission chimique ne se limite pas aux milieux festifs, dans lesquels de nombreux cas d’administration forcée de GHB, aussi appelé « la drogue du violeur », ont été signalés. Les victimes sont majoritairement adultes et féminines (82% des cas) mais les enquêtes dénombrent aussi des victimes enfants et des victimes masculines.
Dans la majorité des cas recensés, la soumission chimique implique l’entourage proche de la victime, et l’utilisation de médicaments tels que des somnifères, des anxiolytiques, des sédatifs ou encore des antihistaminiques. Chaque année, le domicile figure en tête des lieux où se produit le plus grand nombre d'agressions.
Tel est le cas dans l’affaire des « viols de Mazan ».
En 2021, l’Agence nationale de sécurité du médicament a enregistré 727 signalements de soumission chimique lors de son enquête annuelle sur ce phénomène). Parmi ces signalements, 56% incriminent les médicaments psychoactifs tandis que les autres impliquent des substances non médicamenteuses.
Ainsi, cela déconstruit l’idée reçue qui place le GHB comme l’unique « drogue du violeur ».
86,4% des signalements ont été obtenus suite à des dépôts de plainte qui donnent l’accès aux analyses toxicologiques à la victime, comme preuves opposables valides dans le cadre d’une enquête judiciaire. Avec les mouvements récents tels que #BalanceTonBar ou encore #MeTooGHB, symbolisant une libération de la parole, il y a une forte hausse des signalements liés à la soumission chimique. En 2022, on observe une augmentation de 69% des signalements, soit 1229 personnes. Cependant, la détection de substances psychoactives, se faisant dans un délai très court, notamment dans le sang (quelques heures après) et dans l’urine (quelques jours après), il est difficilement possible d’estimer le nombre de victimes réelles de soumission chimique.
Autre problématique soulevée par Leïla Chaouachi, dans son interview pour le journal LePoint le faible pourcentage de victimes portant plainte, l’estimant à moins de 10% pour les victimes de violences sexuelles qui craignent des répercussions de la part de leur agresseur, le plus souvent faisant partie de leur cercle proche. Ainsi, cela complique davantage l’estimation réelle du nombre de cas de soumission chimique.
UN MANQUE DE FORMATION MÉDICALE POUR PRÉVENIR LA SOUMISSION CHIMIQUE
Leïla Chaouachi , également rapporteure de l’enquête « Soumission chimique », auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament, dénonce la méconnaissance d’un phénomène de santé publique parmi le corps médical. Celle-ci, qui a déjà animé plusieurs ateliers de prévention sur le sujet, suggère une formation continue des soignants leur enseignant les réactions à avoir, et l’abord fréquent du sujet de la sexualité avec leurs patients afin de prévenir le phénomène.
Aussi, une enquête publiée en 2010 par l’Académie Nationale de médecine soulevait déjà l’absence totale d’enseignement sur la soumission chimique au cours des études de médecine, amenant les médecins à produire des erreurs de diagnostics.
L’enquête énumère quelques symptômes suspicieux d’une soumission chimique : des signes d’agression physique, des perturbations neuropsychiques pouvant être dû aux amnésies provoquées par l’administration des substances psychoactives, ou encore des agitations psychomotrices liées au stress ou à l’angoisse.
L’étude met également en garde contre la diversité de substances considérées comme « idéales » pour la soumission chimique ainsi que sur la facilité d’obtention de certains médicaments.
SOUMISSION CHIMIQUE : RÉVÉLATRICE DE LA CULTURE DU VIOL
Un manque de prévention et de sensibilisation autour de la soumission chimique, l’invisibilité des victimes, l’impunité des agresseurs qui en découlent, le contrôle du corps de la victime (le plus souvent féminine), sont toutes ces raisons constatant que la soumission chimique est une violence minimisée, voire dissimulée.
Cette minimisation de ce phénomène est étroitement liée à la culture du viol, phénomène sociologique utilisé pour qualifier un ensemble de comportements qui banalisent, excusent et justifient les violences sexuelles.
En effet, considérée comme une arme de viol, la soumission chimique révèle également l’objectivation du corps de la femme, aspect central de la culture du viol, dans lequel les agresseurs ne considèrent pas le consentement de la victime, la considérant disponible seulement pour les désirs sexuels masculins.
Dans l’affaire de Mazan, ce concept est largement présent. D’ailleurs, la défense de certains accusés repose sur le « consentement par délégation » plaidant la présence du mari lors des viols commis sur Gisèle Pélicot. D’autres plaident un « viol involontaire », défendant l’idée qu’ils n’avaient aucune intention de commettre un viol lorsqu’ils se rendaient au domicile du couple Pélicot, et donc qu’ils n’avaient pas commis ce crime.
Pourtant, des règles strictes étaient mises en place par le principal accusé, Dominique Pélicot pour les hommes se rendant au domicile du couple. Se garer à un endroit précis, assez loin du domicile, se dévêtir dans la cuisine, se réchauffer les mains sur le radiateur, toutes sont des mesures ayant été prises pour ne pas réveiller la victime.
Cependant, la défense du « viol involontaire » met en lumière la controverse présente dans la définition du viol, à l’article 222-23 du Code Pénal véhiculant une présomption de consentement, et ne prévoyant pas que l’absence de consentement soit constitutive de l’infraction selon Catherine Le Magueresse, doctoresse en droit.
Récemment, des débats parlementaires ont eu lieu quant à l’intégration de la notion du consentement dans l’article du Code Pénal relatif à l’incrimination du viol. En avril 2024, la France avait refusé d’adopter la définition commune du viol proposée par la Commission Européenne qui reposait sur un seul principe : « seul oui veut dire oui ».
UNE MOBILISATION HORS-NORMES
Le samedi 14 septembre 2024, des rassemblements ont eu lieu partout en France, lors desquels des milliers de personnes ont manifesté en soutien à Gisèle Pélicot et aux victimes de viol. Le slogan « On est toutes Gisèle » a également pris de l’ampleur sur la toile médiatique et des réseaux sociaux.
Ce mardi 17 septembre 2024, à la sortie de l’audience, Gisèle Pélicot a été applaudie par des dizaines de personnes, après la première audition de son ex-mari, qui a avoué entièrement les faits. Cette proximité, jamais vue, entre la société civile et la victime de ce procès dit historique révèle les possibles conséquences que pourrait avoir ce procès, du point de vue de la loi.
En effet, ce procès, rendu public par choix de la victime, serait capable de faire changer la définition du « viol » inscrite dans le Code Pénal..
L’ASSEDEL apporte tout son soutien à Gisèle Pélicot, sa famille ainsi qu’à toutes les victimes de victimes sexuelles et de soumission chimique.
L’ASSEDEL demande à ce que la notion de consentement soit intégrée dans l’article 222-23 du Code Pénal français.
L'ASSEDEL propose d'intégrer l'étude du phénomène de la soumission chimique dans le cursus des études médicales, afin de renforcer la formation et la sensibilisation du personnel de santé et d'améliorer la prévention.
L’ASSEDEL demande à ce que les analyses toxicologiques puissent constituer des éléments de preuves opposables dans le cadre d’une enquête judiciaire, ce même si celles-ci ne sont pas réalisées sur la base d’une réquisition judiciaire..