Au cours de son intervention, M. Micheletti a abordé les risques de paralysie et d’empêchement des organisations humanitaires. L’analyse du modèle économique actuel explique que cette paralysie et la violence qui s’exprime à l’égard des humanitaires sont liées à ce modèle économique qui constitue l’un des enjeux contemporains de l’aide humanitaire. M. Micheletti a expliqué cette situation avec toute une série d’analyses publiées dans son livre de qui se nomme « 0,03 % ».
L’action humanitaire regroupe plusieurs acteurs tels que Médecins sans frontière (MSF), Médecins du Monde, Action Contre la Faim (ACF) etc. Les acteurs de l’humanitaire constituent quatre grandes familles : l’ONU et ses organes comme le HCR et l’UNICEF, le mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, les ONG’s internationales dont l’ACF est un exemple et finalement les armées qui revendiquent faire elles-mêmes de l’action humanitaire, ce qui n’est pas sans créer de problèmes aux autres acteurs.
La violence qui s’exerce à l’égard des humanitaires est chaque fois particulière ; l’assassinat des volontaires en Niger l’an dernier, l’assassinat des vaccinateurs en RDC ou l’assassinat d’un ingénieur agricole au Guatemala… Quand la sécurité est fortement mise en péril, le problème concret qui se pose aussitôt est que les organisations confrontées à cette violence se retirent de la crise humanitaire de peur d’exposer leurs équipes. Par conséquent, les populations dans le besoin de secours sont tout d’un coup privées de la possibilité de secours extérieur.
La violence est un symptôme, un signe d’appel comme la fièvre, et derrière ce symptôme il peut y avoir différents mécanismes. Le premier débat dans le monde des humanitaires c’est la réalité et la gravité de ce symptôme. La question qui se pose : Est-ce que nous sommes d’accord sur les mécanismes à l’origine de cette violence ? La violence peut être accidentelle, sans viser particulièrement les humanitaires. Elle peut être de nature politique ou bien liée au radicalisme religieux. Elle peut aussi résulter du banditisme que l’on trouve beaucoup en Amérique latine. Finalement il peut y avoir des violences « anthropologiques ». Pour une part, la violence peut également résulter du non-respect de certaines pratiques culturelles lorsque les humanitaires recourent à des pratiques de soins pas compatibles avec les références culturelles de certaines populations.
Comme nous ne sommes pas d’accord sur le mécanisme qui génère cette violence, les mesures correctives qu’il faut apporter dépendra du type de lecture qu’on fera pour cette violence.
L’analyse faite dans le livre intitulé « 0,03% » est que, certes cette violence est poly-factorielle dans ses déterminants mais le modèle économique nous dit des choses importantes pour avoir la clé de lecture sur la violence en tant que symptôme résultant des mécanismes politiques.
En 2017-2018 on estime qu’environ 160 millions de personnes étaient concernées par les crises humanitaires. Le volume de population est extrêmement important, plus de deux fois de la population française. Ce sont des populations en extrême danger et qui relèvent d’une aide humanitaire qui est vitale pour elles.
Le risque d’empêchement est illustré par les incidents de sécurité et leur évolution pendant ces dix dernières années. En 2018, 226 attaques à l’égard des humanitaires ont été recensées avec un bilan de 405 victimes. Sur les dix dernières années, il y a une augmentation exponentielle des incidents de sécurité à l’égard des humanitaires de l’ONU ou des autre ONG internationales.
La violence se manifeste principalement par des kidnappings, des blessures par arme à feu, des attaques aux armes blanches, des violences sexuelles, des bombardements aériens et des explosifs.
Le risque moyen d’être victime d’une violence sur le terrain est quatre fois plus élevé quand on est un personnel local versus un personnel expatrié (international).
Les pays qui génèrent le plus d’accident de sécurité et qui tirent les statistiques vers le haut sont le Soudan du sud, la Syrie, l’Afghanistan, la RDC et la Centrafrique.
Par ailleurs, les pays les plus accidentogènes ont des modalités de violence qui sont particulières à chacun. Alors que la violence par armes à feu est très présente au Soudan, en Syrie on subit plutôt des bombardements et en Afghanistan c’est plus axé sur le kidnapping.
Il y a une relations forte entre le modèle économique, à l’origine de financement de l’aide humanitaire, et cette violence s’exprimant à l’égard des humanitaires.
Si on regarde le budget de l’aide humanitaire mondiale des 5 dernières années, on est à environ 30 milliards de dollars pour l’ensemble des crises, permettant de venir en aide à environ 200 millions de personnes exposées à des précarités très importantes.
Trois quarts de ces financements viennent des gouvernements et des institutions européennes, et les un quart restant viennent de fonds privés. Ainsi, même si les ONG sont un acteur parmi d’autres, elles représentent presque le quart de l’enveloppe financière mondiale dont nous avons besoin pour faire face à l’ensemble des crises.
Chaque année le Bureau de coordination des Nations Unies fait une analyse des crises existantes et une estimation des besoins financiers pour faire y face. Alors que ce budget estimé était d’environ 10 milliards de dollars en 2009, il est augmenté à presque 30 milliards en 2018 à cause de la forte augmentation du nombre des crises. En outre, chaque année, l’ONU ne reçoit que 60% des sommes qu’elle demande aux gouvernements.
Une des conclusions du « Grand sommet international de l’aide humanitaire » (World Humanitarian Summit) qui s’est tenu à Istanbul en 2016, était que les acteurs locaux recevaient une fraction très peu importante (moins de 3%) de l’enveloppe annuelle de 30 milliards. De plus, dans ces 3 % de financement, 85% seraient destinés aux gouvernements des pays en crise. Les ONG reçoivent donc 0,4% de la trentaine de milliards qui sont mobilisés chaque année. Une recommandation du sommet d’Istanbul était d’augmenter ces 3% à 20%. La crise sanitaire liée au Covid-19 a empiré cette analyse développée au sommet d’Istanbul. En effet, les acteurs internationaux ne pouvant plus se déplacer, le besoin d’augmentation du financement géré par les locaux est devenu plus important. Or rien n’est changé depuis 2016, voire a empiré, puisqu’aujourd’hui on tourne autour des 2%.
Quant aux donateurs, premiers donateurs sont des pays européens, et les pays d’Amérique du Nord. Les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite ont essentiellement été donateurs pour la Syrie, le Soudan et le Yémen.
Ces pays n’alimentent pas forcément un fond commun mais ils donnent spécifiquement pour les pays en crise qu’ils souhaitent soutenir. C’est pourquoi, il n’y a pas une distribution proportionnelle entre les sommes couverts des différents pays en crise. En effet, le Haïti n’a obtenu que 13 % de 250 millions estimés pour ses besoins, alors que la Syrie a reçu 65% du montant estimé, c’est-à-dire 3 milliards de dollars.
Ainsi, les principaux pays donateurs donnent au gré de leur volonté politique avec, bien sûr, toutes les arrières pensés aux plans stratégique, économique ou militaire.
Les modèles de financement peuvent être regroupés en 4 « tentations » ;
- La tentation néolibérale accepte l’idée de faire appel à la générosité du public afin de réunir la somme nécessaire pour les crises humanitaires. Cependant, selon M. Micheletti ce n’est pas réalisable.
- La tentation de l’occidentalo-centrisme, évoqué précédemment avec la listes des pays donateurs.
- La tentation sécuritaire qui subordonne le financement à une éventuelle implication des ONG dans la lutte anti-terroriste : les États qui subventionnent les ONG internationales leur demandent de jouer un rôle dans la lutte anti-terroriste, ce qui est difficilement acceptable en raison des risques pour les équipes humanitaires.
- La tentation de la rétraction qui vient avec la crise économique liée au Covid-19 entrainant un effondrement du PIB dans l’ensemble des pays. Afin de relancer les économies, plusieurs milliards de dollars ont été réorientés, ce qui a eu comme conséquence de réduire le financement des crises.
La conclusion qu’on peut tirer de cette analyse est que, le modèle économique du système humanitaire international n’arriverai pas à réunir chaque année les sommes estimées nécessaires. Il expose les humanitaires à la volonté politique des pays donateurs qui choisissent les bonnes et les mauvaises crises. Cela se complique, par ailleurs, par le fait que ce système veut engager les humanitaires dans la lutte anti-terroriste. Enfin, ces pays chargent les organisations internationales, de la responsabilité opérationnelle et morale de trouver le financement manquant. Peut-on accepter politiquement sans réagir le fait que les États n’arrivent pas réunir ces trente milliards, alors qu’on voit des centaine des milliards distribués aujourd’hui dans ces mêmes pays pour leurs économies ?
En réaction à ces constats, un certain nombre de propositions peuvent être faites. Par exemple, pourquoi se limiter à des pays donateurs qui ne serait constitué que d’un petit club fermé de 20 pays occidentaux ? La première proposition c’est donc de demander une contribution non pas volontaire mais de la rendre obligatoire, pour l’ensemble des pays considérés par la Banque Mondiale comme des pays à haut revenu (pays dont le PIB excède le 12.000 de dollars). Cela per augmenterai le nombre de pays donateurs à une centaine de pays. Donc si chaque pays donne 0,03 % de son RNB, le besoin qui s’élève à 30 milliards de dollars serait satisfait.