La Commission de Venise a rendu, le 13 juin 2023, son avis intérimaire sur l’article 49 de la Constitution française et la pratique qui en est faite par le gouvernement. La Commission souligne plusieurs inquiétudes concernant cette procédure permettant d’adopter un projet de loi sans voteth l’Assemblée nationale en engageant la responsabilité du gouvernement.
L’ASSEDEL a souhaité faire part à la Commission de sa propre analyse des enjeux et des risques d’une pratique abusive d’un tel article, elle a donc soumis un rapport identifiant quatre problématiques : la combinaison de l’article 49 à d’autres outils de parlementarisme rationalisé, son incompatibilité avec l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, l’importance de considérer la distinction entre constitutionnalité et légitimité démocratique et enfin, la faiblesse de la motion de censure.
Nous vous invitons à consulter le rapport de l’ASSEDEL ici.
La Commission a confirmé, dans son avis, avoir reçu les observations de notre association. Nous constatons par ailleurs de nombreuses convergences entre son analyse et celle de l’ASSEDEL.
Il apparaît nécessaire de dresser un bilan des observations et des recommandations issues de cet avis afin de souligner les inquiétudes communes qui émergent concernant l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 en France.
Observations de l’ASSEDEL sur l’avis de la Commission de Venise
Avant toute chose, la Commission n’ignore pas l’importance de l’objet premier de cet article, permettre au gouvernement de conserver une forte stabilité et d’avoir la capacité de conduire la politique du pays. Elle comprend la volonté et la nécessité de contrer l’instabilité de la Quatrième République par des méthodes de parlementarisme rationalisé et souligne l’efficacité d’une telle procédure de passage en force dans ce but précis (§9).
Néanmoins, tout comme l’ASSEDEL, la Commission de Venise fait état de ses inquiétudes et identifie trois principaux enjeux : le pluralisme, la séparation des pouvoirs et la souveraineté du législateur.
Article 49 of the Constitution is identified by the Commission as a “freestanding law-making power in the hands of the executive”1 et non comme une délégation (§25). Cette définition pose un évident problème de séparation des pouvoirs et permet de soulever la trop grande immixtion, permise par cet article, de l’exécutif dans les prérogatives du législateur.
En tant que gardienne de l’Etat de droits, la Commission de Venise rappelle que le pluralisme est un des éléments indispensables pour un Etat démocratique comme la France. Un mécanisme constitutionnel tel que le 49 alinéa 3, permettant de contourner tout débat parlementaire et, par conséquent, d’invisibiliser tout un panel d’opinions d’opposition, est préoccupant au sein d’un Etat de droit. C’est dans l’optique d’atténuer les risques de dégradation du débat démocratique et de sauvegarde de la diversité des opinions que la Commission recommande de rendre obligatoire la pratique qui consiste à activer l’article 49 alinéa 3 qu’après la discussion générale (§47) offrant un espace de visibilité pour la diversité d’opinions des partis d’opposition.
In our report, we underlined the danger represented by Article 49 in the balance of power between Parliament and the Executive, already initially unbalanced by the introduction of the mechanisms of rationalized parliamentarism. In a similar vein, the Commission highlights the singularity of the French mechanism, which “does not provide for the Prime Minister to seek the confidence of the National Assembly in order to encourage approval of the law”2 (§41). We believe that such a procedure would make it possible to mitigate the violence of a “passage en force” procedure such as Article 49, while providing the executive with a tool enabling it to pursue its policy. Article 49 provides for the opposite mechanism, placing the legislator in the role of initiator of the motion of censure. Confidence is not sought by the executive, and once again, the role of the legislator is weakened.
The Commission raises the same fears as ASSEDEL regarding the motion of censure, arguing that this tool does not offer a sufficiently contentious forum for MPs, with its “very high cost” 3(bringing down the government) and its overly limited scope, preventing parliamentarians from amending the bill. Like ASSEDEL in its report, the Commission relies on Eleanora Bottini’s observations to assert that by voting on the motion of censure, the National Assembly is not voting for or against the law in question, but for or against maintaining the government in office.4 , il n’y a donc aucun moyen pour l’Assemblée nationale de se prononcer sur le projet de loi en question (§43).
ASSEDEL would like to add to this analysis that the procedure for adopting a motion of censure is highly conducive to its failure, as we demonstrated in our report. This mechanism, which represents the National Assembly’s only means of action in the event of activation of 49 paragraph 3, favors executive maneuvering and, moreover, has only succeeded once in the course of the Fifth Republic.
Like ASSEDEL, the Commission is concerned that the combination of article 49.3 with other tools of rationalized parliamentarism, such as article 47, risks further damaging parliamentary debate. It stresses the need to allow time for parliamentary debate (§49). Nevertheless, it sees the Constitutional Council’s control over “the clarity and sincerity of parliamentary debates”5 débat parlementaire (§49).
Elle considère néanmoins le contrôle du Conseil constitutionnel sur « la clarté et la sincérité des débats parlementaire »5 comme une garantie, l’ASSEDEL s’oppose sur ce point comme elle l’explique dans son rapport, elle ne considère par le contrôle du Conseil constitutionnel, notamment à travers l’approche purement positiviste adoptée dans sa décision 2023-848 DC, comme un moyen efficace de garantir la sauvegarde d’un débat démocratique qualitatif.6
L’ASSEDEL rejoint toutefois l’avis de la Commission lorsqu’elle affirme que le Conseil constitutionnel, à travers son simple contrôle du respect de la procédure, n’offre pas une garantie suffisante quant à la suprématie du pouvoir législatif.
1 Venice Commission, ‘‘France – interim opinion on the Article 49.3 of the Constitution’, para 25 “Article 49.3 of the French Constitution is not a form of delegation but is best viewed as a freestanding law-making power in the hands of the executive”.
2 Venice Commission, ‘‘France – interim opinion on the Article 49.3 of the Constitution’ para 41, “Article 41 does not provide for the possibility for the Prime Minister to request the confidence of the National Assembly in order to incite the approval of the law”.
3 ASSEDEL, ‘Lettre pour la commission de venise concernant l’usage de l’article 49 de la constitution française’, « En réalité, les députés, à travers le vote de la motion, ne se prononcent pas « pour » ou « contre » le texte proposé, mais « pour » ou « contre » le maintien du gouvernement en place. L’objet de ce vote ne reflète donc pas l’avis du législateur sur le texte en question ».
4 Eleonora Bottini, ‘Constitutional? Perhaps. Democratic? Not so much’ (27 march 2023), Verfassungsblog: On Matters Constitutional, <https://verfassungsblog.de/constitutional-perhaps-democratic-not-so-much/>
5 Venice Commission, ‘France – interim opinion on the Article 49.3 of the Constitution’ para 49 “The control of the Constitutional Council of the « clarity and sincerity » of the parliamentary debates, however, may represent a guarantee against excess”.
6 ASSEDEL, ‘‘Lettre pour la commission de venise concernant l’usage de l’article 49 de la constitution française’, « Le conseil constitutionnel, dans sa décision numéro 2023-849 DC, adopte une approche purement positiviste de la constitution qui ne lui permet pas d’ « endosser les habits du garant des droits » […] ni d’aboutir à une réflexion sur les risques de dégradation du débat démocratique et de l’Etat de droit. »