Le président de la Cour européenne des droits de l’Homme, Robert Spano s’est rendu en Turquie du jeudi 3 au samedi 5 septembre. La juge turque de la CEDH Saadet Yüksel qui est accusée d’être explicitement affiliée au régime d’Erdogan[1], a accompagné Robert Spano pendant sa visite. Même s’il a demandé à la Turquie d’exécuter les décisions de la CEDH et mis l’accent sur l’importance de l’État de droit dans ses discours[2], il n’a pas mentionné de façon explicite et concrète les violations des droits de l’homme en Turquie et il n’a rencontré que les autorités officielles pendant sa visite.
Les violations des droits de l’Homme de la Turquie d’Erdogan
La CEDH a classé la Turquie comme le deuxième pays le plus condamné en 2019, après la Russie. En particulier, après la tentative de coup d’État qui a été considérée comme «coup d’État contrôlé» par le leader d’opposition Kılıçdaroglu ou comme un «théâtre» par plusieurs victimes, les violations des droits de l’Homme en Turquie y ont alors vu leur apogée. Les tortures, les disparitions forcées des gülenistes en Turquie et à l’étranger par les services de renseignement, les morts en prison, l’emprisonnement des députés et maires démocratiquement élus, le harcèlement sexuel en garde à vue et les limitations de la liberté d’expression sont en plein essor. Selon le rapport de Human Rights Watch, les procureurs ne mènent pas d’enquêtes sérieuses sur de telles allégations et il existe une culture d’impunité généralisée pour les membres des forces de sécurité et les agents publics impliqués[3]. De plus, Süleyman Soylu, le ministre de l’intérieur déclare avec fierté que pendant l’état d’urgence, 282 790 personnes ont été détenues et 94 975 ont été arrêtées. Les personnes visées comprennent des Kurdes, des gauchistes et en majorité des partisans présumés de Fethullah Gülen. Selon le rapport de Nurcan Gökdemir de journal Birgün, le nombre de ceux qui ont été jugés pour insulte à Erdoğan a atteint 29 704, tandis que 119 journalistes sont toujours derrière les barreaux sous le prétexte de faire de la propagande terroriste.
La déception des victimes et des défenseurs des droits de l’homme
Dans ce contexte grave, après avoir été reçu par le président turc Erdoğan à Ankara, Robert Spano a accepté un doctorat honoris causa décerné par l’Université d’Istanbul tandis que depuis 2016, plus de 6000 universitaires ont perdu leur travail, parmi lesquels 192 enseignant à l’Université d’Istanbul. Son acceptation de cette récompense a déçu les universitaires défendant leurs droits devant la Cour constitutionnelle de la Turquie et le CEDH. Selon Şebnem Korur Fincancı, la présidente de la Fondation des droits de l’homme de Turquie (TİHV), la cérémonie à l’Université d’Istanbul n’était ni plus ni moins qu’un spectacle de marionnettes du gouvernement, les étudiants n’ayant pas été autorisés à participer à la cérémonie et à poser des questions à Spano[4]. Sur ce point-là, il a été sévèrement critiqué pour avoir porté atteinte à son indépendance, sa neutralité et ses règles d’éthique. Car, selon l’article 9 de la résolution sur l’éthique judiciaire de la Cour européenne des droits de l’Homme, les juges ne peuvent accepter des décorations et des distinctions si cela crée un doute raisonnable sur leur indépendance et leur impartialité. La journaliste kurde Nurcan Baysal a ainsi écrit une lettre ouverte à Robert Spano, arguant que sa visite était un soutien au régime autocrate d’Erdoğan et pour lui demander de démissionner en lui rappelant le cas d’Osman Kavala qui est en prison malgré l’arrêt de la CEDH : «Vous avez choisi de ne pas entendre la voix de la justice qui nous est murmurée depuis les cimetières et les prisons de ce pays. Au lieu de cela, vous avez choisi d’être « honoré » par un État qui viole systématiquement les droits humains et l’État de droit, des crimes souvent condamnés par la CEDH. [5]»
Robert Spano n’a pas répondu non plus aux appels de Basak Demirtas, l’épouse de Selahattin Demirtas, le coprésident du parti pro-kurde HDP incarcéré depuis 2016, qui lui demandait de rencontrer les représentants de son parti. Le journaliste exilé Can Dündar s’est exprimé sur Twitter sur l’attitude de Spano : « L’homme a détruit en trois jours une réputation de trente ans ».
[2] Discours du président de la CEDH Robert Spano :
[3] Turkey. Events of 2019. Human Rights Watch.
[4] ‘ECHR chairman Spano must resign, because…’ – Şebnem Korur Fincancı. Ahval News. 09/09/2020.
[5] Le président de la CEDH, Robert Spano, appelé à démissionner. Kurdistan au féminin. 12/09/2020/